Réalisation : Wang Bing
(...) Témoignages bouleversants
Au fil des témoignages, tous bouleversants, on plonge au cœur des dérives d’une glaçante entreprise de déshumanisation, qui prend ici le visage d’une bureaucratie en proie à la paranoïa la plus délirante. Frappe en premier lieu le fait que les ex-prisonniers de Jianbiangou n’avaient rien de violents dissidents politiques, mais étaient pour la plupart des citoyens comme les autres, souvent des intellectuels (enseignants, ingénieurs, etc.), qui accueillirent la révolution d’un acquiescement sincère. Beaucoup d’entre eux sont tombés dans le panneau de la campagne des Cent Fleurs (de février à juin 1957), grand appel lancé à la population pour faire remonter ses critiques au Parti, mais qui servit aussi à couper les têtes qui dépassaient ou les langues trop bien pendues.
Les Ames mortes se vit surtout comme un effroyable et effarant récit de la faim, cette ultime détresse humaine qui fonctionne comme une suspension de toute humanité. Jianbiangou fut le siège d’une famine terrible, cause première de son haut taux de mortalité. Les rescapés racontent comment les prisonniers étaient, par manque de vivres, renvoyés à l’état sauvage et réduits aux dernières extrémités, jusqu’à celle du cannibalisme, mais aussi les conditions d’internement déplorables qui étaient les leurs : le manque d’hygiène, la saleté, la vermine, les couches creusées à même le sol. Un abandon qui répond moins à une froide logique d’extermination qu’à un naufrage complet de l’administration pénitentiaire, incapable de répondre à l’afflux de prisonniers comme au tarissement des ressources agricoles.
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