Réalisation : Wang Bing
(...) Wang Bing construit, pour les intervenants, un cadre qui, au sein de leurs petits intérieurs, leur ouvre un espace de parole approprié. Les témoins se montrent alternativement diserts ou évasifs, distants ou emportés, mais ce que l’on remarque à leur côté, c’est aussi la présence de leurs épouses. Souvent silencieuses, elles nimbent les récits d’une conscience supplémentaire, terriblement émouvante : celles des proches frappés par l’internement d’un parent, qui devaient en supporter à la fois l’infamie, l’angoisse et les privations subséquentes.
Le cinéaste ne lâche pas ses témoins d’un pouce, les relance, leur demande toujours plus de précisions : des dates, des faits, des détails, des circonstances, des noms surtout. C’est que le travail filmique court contre la disparition de ces rescapés âgés. Parfois, la caméra s’aventure à l’extérieur, pour filmer l’enterrement d’un témoin ou retourner sur le site même de Jianbiangou, devenu un paisible village, où disparaissent peu à peu les traces du camp et où l’on n’admet pas même une plaque commémorative. On comprend alors l’insistance de Wang Bing à faire énoncer le nom des victimes, de toutes les victimes possibles, aux derniers rescapés : Les Ames mortes est un mausolée dressé à leur mémoire. En l’érigeant au fil des années, le cinéaste a endossé la défroque de l’historien, venu déterrer les souffrances enfouies sous l’écrasant roulement du siècle.